Le mystère Bizet - Le mystère Carmen

" Connaissez-vous l’histoire de ce garçon qui fut génial à 17 ans puis cessa de l’être ? Vous pensez que je parle d’Arthur Rimbaud ? Pas du tout…  Je vais évoquer un cas encore plus étrange, un génie adolescent qui fut étouffé pendant toute sa vie adulte mais qui retrouva sa flamme à 36 ans, juste avant de mourir. Il s’agit de Georges Bizet, l’auteur de Carmen. Sans doute un des destins les plus mystérieux de toute l’histoire de la musique." Éric-Emmanuel Schmitt

Le 3 mars 1875 était créé Carmen à l’Opéra-Comique. Trois mois plus tard, Bizet s'éteignait, foudroyé par une maladie de coeur. Écrivain passionné, à la demande de l'Opéra de Paris, Éric-Emmanuel Schmitt interroge cette vie troublée, analyse ce destin et esquisse ce qu’aurait pu être l’œuvre de celui dont il tient la disparition comme l’une des grandes catastrophes de la musique occidentale.

Écrit et joué par Eric-Emmanuel Schmitt sous le titre Le mystère Bizetle spectacle fut créé à l’Amphithéâtre de l’Opéra de Paris Bastille en 2012, avec Karine Deshayes  (mezzo-soprano), Cyrille Dubois et Atilla Kiss-B (ténors), Nicolas Stavy (pianiste), qui interprétaient une dizaine d’œuvres rares ou célèbres de Bizet, du Docteur Miracle à Carmen. Reprise à la Salle Gaveau en 2014 avec, Karine Deshayes  (mezzo-soprano), Philippe Do  (ténor) et  Nicolas Stavy (pianiste), puis en France, Belgique, Suisse.

En novembre 2014, Eric-Emmanuel Schmitt en donne une représentation exceptionnelle à la Philharmonie de Saint-Pétersbourg au cours du Festival Éric-Emmanuel Schmitt avec des artistes russes sous la direction du metteur en scène Alexander Petrov.

En 2019 le spectacle est de nouveau créé sous le titre Le mystère Carmen au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal, puis en tournée au Québec, dans la mise en scène de Lorraine Pintal avec Marie-Josée Lord (soprano), Jean-Michel Richer (ténor) et Dominic Boulianne (pianiste).


Playlist du spectacle :

Premier Nocturne pour piano
Aurore, extrait des Chants du Rhin pour piano

Docteur Miracle, air de Pasquin « J’suis plus honnête que j’n’suis bête »

Variations chromatiques pour piano

Adieux de l'hôtesse arabe, mélodie pour voix et piano

La jolie Fille de Perth, sérénade de Smith « À la voix d’un amant »

Djamileh, duo de Djamileh et Harou « Quelle pâleur est sur ta joue ? »

Carmen : 

air de Carmen « L’amour est enfant de Bohème » première et seconde versions
air de Don José « La fleur que tu m’avais jetée »
air des cartes « En vain pour éviter »
duo de Carmen et Don José, « Non, tu m’aimes pas ! »
duo final de Carmen et Don José, « C’est toi, c’est moi. »

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Critiques

Classiquenews - « A voir et à écouter de toute urgence. Brillant. »

Compte-rendu : Le Mystère Bizet … En près de deux heures, Eric-Emanuel Schmitt démêle la carrière d’un génie romantique français : Georges Bizet. Un génie précoce et trop prometteur, puis des aléas et beaucoup de compromis (malheureux ?), enfin l’accomplissement grâce à son dernier opéra (il était temps) : Carmen, coup de génie mais qui demeure de son vivant totalement incompris.


Il y a bien un mystère Bizet qui interroge surtout sa mort et donc réclame des éclaircissements … ce en quoi le déroulement du spectacle nous satisfait.
Georges qui vient de livrer l’œuvre de sa vie : Carmen, en 1875, son opéra le plus abouti et aussi le plus autobiographique, ne se remettra jamais d’une mauvaise baignade à Bougival. Il n’avait que 36 ans. Acte suicidaire manqué (à quelques jours de décalage cependant) ou assassinat astucieusement maquillé, nul le saura peut-être jamais, quoiqu’en dernier recours, – à l’extrême fin de la soirée, Eric Emmanuel Schmitt apporte en enquêteur zélé et passionnant, une pièce nouvelle au dossier : pièce maîtresse en vérité qui permet de comprendre le contexte sentimental dans lequel le compositeur a vécu ses derniers instants.

Le mystère Bizet : Carmen… c’est moi !

 Les deux heures de spectacle s’écoulent ainsi comme une évocation théâtrale et musicale plutôt bien rythmée, alternant récit et musique, que le piano de Nicolas Stavy (pas toujours à l’écoute réelle des chanteurs car il joue souvent trop fort) rehausse encore en jouant des Chants du Rhin (1865), L’Aurore et Le Retour… La musique de Bizet commence ici par une baignade pour finir comme un anéantissement liquide, en une évocation magistralement pilotée par l’écrivain comédien, avocat argumenté pour la défense du génial compositeur.

Après avoir été ce symphoniste inouï de 17 ans (Symphonie en ut) capable de dépasser son maître Gounod, Bizet poursuit à l’époque du Second Empire quand règne le comique déjanté d’Offenbach, une carrière parisienne plutôt chaotique, jalonnée d’œuvres souvent inégales (évoquées par extraits : Le docteur Mircale de 1857 ; La Jolie fille de Perth de 1867 …), surtout détruites par la compromission d’un esprit qui veut réussir et plaire. Pourtant ce que dévoile la soirée, tel un fil conducteur très bien identifié, c’est la quête d’une sensualité toujours plus immédiate et âpre à laquelle le mezzo velouté et de plus en plus assurée de Karine Deshayes offre son timbre rayonnant, sa présence ensorcelante jusqu’à incarner une Carmen d’une justesse exemplaire. Quelle cantatrice et quelle présence. Sans chichi, d’une sincérité admirable.

Des Adieux de l’hôtesse arabe (sur le poème de Victor Hugo), à Djamileh (1872), se profile et s’impose peu à peu, sur fond d’orientalisme, la figure de la femme libre et audacieuse, furieuse et passionnée, l’égal féminin de Don Giovanni : Carmen. Tout le spectacle prépare à comprendre ce qui fait la modernité et la grandeur philosophique du personnage inspiré de Mérimée… pas moins de cinq extraits (solos et duos) exprime la chair incandescente de cette femme monstrueusement humaine. Généreux dans son enquête, le récitant habité nous immerge même dans l’atelier de Bizet occupé à composer sa fameuse habanera ” l’amour est un enfant rebelle ” : inspiré par une mélodie originelle signée Sebastian Yradier ( El Arreglito), Bizet reprend, réécrit le texte pour accoucher d’un air à jamais universel : les deux versions comparée sont d’un apport éloquent. Bizet est bien comme le peintre Manet, ce passionné d’Espagne, au style franc, immédiat, d’une sensualité directe voire scandaleuse.

Accessible, précis, souvent drôle, le texte écrit par Eric-Emmanuel Schmitt compose le plus bel hommage rendu à Bizet. Son admiration pour Carmen s’expose en un playdoyer très argumenté qui nous fait prendre conscience de la sauvagerie fascinante d’une œuvre qui scandalisa par sa crudité. Doué d’une bel empathie, le charismatique écrivain nous fait aimer Carmen… une partition qui aurait pu être composée par Mozart sur un livret de Nietzsche. Et si à l’opéra, le seul véritable héros, digne de tous les éloges était une … femme ? L’art d’apprendre et de se divertir nous est ici révélé. A voir et à écouter de toute urgence. Brillant.

Alexandre Pham

L'Opéra. revue québécoise d'art lyrique - « UN CHEF D'OEUVRE RACONTÉ »

Charmante idée que celle de construire une pièce de théâtre autour de la création de Carmen. Eric-Emmanuel Schmitt livre un récit qui mêle l’opéra, l’analyse et le dossier de presse pour retracer l’histoire du chef d’œuvre lyrique qui a conquis le monde.

La forme de cette pièce, qui laisse une part belle à la musique est décidément des plus intéressantes. Entre les numéros chantés, Schmitt reprend la parole en se glissant dans la peau de différents personnages : tantôt il est Bizet, tantôt, le directeur de l’Opéra-Comique, mais le plus souvent, il est conteur et observateur et apporte des précisions qui témoignent de l’ampleur du travail de recherche qui a accompagné l’écriture. Il s’intéresse surtout aux liens existants entre la vie personnelle de Bizet et son chef-d’œuvre en relevant les nombreuses normes sociales que le personnage de Carmen a transgressé à son époque. L’auteur-narrateur partage aussi avec le public des détails à propos de l’œuvre qui sont souvent méconnus comme c’est le cas d’une critique parue au lendemain de la création déplorant qu’on ne retienne aucune mélodie de cet opéra alors que de nos jours, plusieurs airs font désormais partie des tubes de la musique classique. À ce sujet, le public a également pu entendre une version alternative de « L’amour est un oiseau rebelle », qui se révèle franchement moins mémorable que la version définitive que l’on connaît si bien.  

C’est Marie-Josée Lord qui incarnait les personnages féminins habitant les œuvres de Bizet. Sa Carmen ne manque pas de feu même s’il y a parfois des moments où sa présence scénique est moins prégnante. Toutefois, sa Djamileh et son hôtesse arabe gagneraient à être peaufinées, surtout en ce qui concerne la diction qui est très inégale. On perd complètement le texte lorsque sa voix quitte le registre médium. Son partenaire de scène, Jean-Michel Richer (ténor), est pour sa part captivant et nous fait voyager du loufoque Pasquin du Docteur Miracle au plus tragique Don José en passant par l’amoureux transis de La jolie fille de Perth. Les deux chanteurs sont soutenus par Dominic Boulianne dont le jeu pianistique est toujours juste et complète agréablement l’atmosphère de l’œuvre.  

Cette histoire si brillamment racontée est présentée dans une scénographie minimale, mais dont les effets sont des plus réussis. Le rideau à frange sur lequel sont projetées des images donne un caractère vaporeux quasi impressionniste au décor, ce qui se prête bien au récit élaboré par Eric-Emmanuel Schmitt mêlant réalité et fiction. En somme, Le Mystère Carmen est un spectacle musical très bien construit, qu’il vaudrait la peine de revoir. 

Judy-Ann Desrosiers

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