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Madame Pylinska et le secret de Chopin
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Résumé
Pour la première fois, Eric-Emmanuel Schmitt a accepté le projet d’un livre d’entretien consacré à son enfance, ses vocations multiples, sa vie… Qui était le petit garçon Eric-Emmanuel à Lyon, dans les années 60 ? Quelles histoires avait-il déjà en tête ? Nous découvrons ses années de formation, son milieu, ses rêves, ses regrets… Il répond avec franchise et talent à la journaliste Catherine Lalanne, rédactrice en chef de Pèlerin, et responsable de cette nouvelle collection « L’Atelier de l’enfance ».
Ses nombreuses confidences sur sa vie, ses valeurs, ses multiples activités, le sens qu’il donne à l’existence, à l’art, font le prix de ce livre exceptionnel. Ses très nombreux lecteurs dévoreront les différents chapitres de ce livre pour entrer dans l’intimité de leur auteur. Nous ferons connaissance avec un écrivain, dramaturge, philosophe, bien différent des clichés que certains peuvent avoir sur lui. Et bien plus surprenant.
Critiques
Notre Temps - « " L’âge m’a toujours paru un garant de la liberté" »
Notre Temps: Votre grand-père a été votre modèle. Que vous a-t-il appris?
Éric-Emmanuel Schmitt: Mon grand-père François fut le roi de mes premières années. Je l’admirais autant que je l’aimais. Artisan joaillier sertisseur, il m’a transmis son regard attentif sur le monde, l’attachement au travail. Aussi joueur que sérieux, il se montrait à la fois espiègle et sage. La joie l’habitait. Je le revois avec son épais tablier de cuir sur ses genoux récupérant la poussière d’or qui était tombée des bagues et colliers durant la journée; précautionneusement, il glissait ces particules dorées dans un tube en verre. Il est mort à 66 ans et ma grand-mère toucha une retraite de veuve d’artisan, soit la moitié de rien. Or, patiemment, il avait coulé six lingots en une vie. Mamie a vécu plusieurs décennies grâce à cette poussière d’or récoltée chaque soir. Il m’a légué la patience de la passion. Je peau ne mes phrases avec le soin minutieux qu’il portait aux bagues, aux colliers, aux broches, aux boucles d’oreilles qu’on lui confiait. Comme lui, j’ai le goût de la finition et du minuscule.
NT: Ce premier lien avec une personne âgée explique-t-il votre regard dénué de préjugés sur le grand âge?
E.-E. S.: Le regard de notre société sur l’âge me scandalise. Vieillir, ce n’est pas se racornir, c’est grandir. Les années n’anéantissent pas le cerveau de nos aînés, bien au contraire! Franchi un certain seuil, ils bravent le qu’en-dira-t-on, ils lent droit au but, larguent les amarres, se risquent à la vérité. Quelle merveille, pour un romancier, des personnages devenus tellement eux-mêmes qu’ils survolent les tabous, les convenances, la bienséance, la bien-pensance, osant proférer ce qu’ils croient et se moquant d’être jugés. Grâce à mon grand-père, l’âge m’a toujours paru un garant de la liberté. La vieillesse possède à mes yeux une deuxième qualité: la fragilité. Comme l’enfance, elle s’avoue vulnérable, et, par là même, devient intelligente. Rien ne rend plus sot que l’illusion de la force, l’illusion de la puissance, l’illusion de savoir.
NT: Vos parents, tous deux sportifs de haut niveau, vous ont transmis le goût de l’effort...
E.-E. S.: Le goût de l’effort oui, pas le goût de l’activité sportive! Florence, ma sœur aînée, a hérité de leur appétit pour les exploits physiques, moi j’ai pris le contre-pied de ces parents sportifs en privilégiant l’étude et la culture. D’abord, je n’ai jamais été habile de mon corps - si je ne savais pas jouer du piano, je m’estimerais même totalement nul. Puis j’ai toujours préféré les planches aux pistes. Les unes ne bannissaient pas les autres pour mes parents, assez complets, dont la tête fonctionnait aussi bien que les muscles. Ma mère, championne de France de sprint et professeur d’éducation physique, était férue de théâtre. Mon père, boxeur universitaire, montagnard passionné qui exerçait le métier de kinésithérapeute, adorait la littérature. Chacun d’eux prisait l’effort soutenu, l’engagement total qui mène à l’accomplissement.
NT: Vous signez votre premier roman à 11 ans
E.-E. S.: La première fois comme la dernière, on écrit le livre qui nous manque. Ayant terminé la série de Maurice Leblanc dont j’idolâtrais le héros, Arsène Lupin, je ne pus me résoudre à abandonner cette figure; j’ouvris donc un épais cahier rouge à spirale, je gribouillai sur la page "Une nouvelle aventure d’Arsène, par Éric-Emmanuel Schmitt, éditions Le Colibri" et je commençai à rédiger mon histoire. Quoique mes goûts aient évolué depuis, j’écris toujours le livre que j’aimerais lire.
NT: Très tôt, la musique prend place dans votre vie...
EES: De moi-même, j’écoute les disques classiques ou folkloriques de mes parents. Au salon trône un piano droit, vétuste, que torture ma sœur aînée; mais, à 8 ans, après avoir entendu ma tante Aimée le toucher romantiquement, je réclame d’apprendre. Pendant l’adolescence, je confectionne des morceaux que j’interprète devant mes amis, ma sœur, mon professeur.
NT: À l’adolescence, vous découvrez Mozart.
E.-E. S.: Mozart accompagne ma vie. Il m’a soutenu à des périodes douloureuses, à l’hôpital, au chevet d’amis fauchés par le sida. En 1994, lorsque j’ai vu mourir D., la femme que j’avais aimée d’amour, le chagrin m’a tellement dévasté que je suis demeuré sec, sans émotions, et que j’ai perdu la mémoire, la mémoire de notre couple, la mémoire de ce que nous avions vécu ensemble. Sans doute mon esprit me protégeait-il d’une souffrance trop intense... Mozart m’a rendu mes souvenirs et les larmes, deux ans après, en m’envoyant l’adagio d’un concerto pour violon; il m’a pris par la main et m’a conduit sur le chemin du deuil, de l’acceptation. "Réjouis-toi de ce qui a été au lieu de regretter ce qui n’est plus", voilà ce qu’il me chuchotait.
NT: Vous êtes un écrivain habité par la joie, comment définiriez-vous ce sentiment?
E.-E. S.: La vraie joie est ce qui demeure quand on a pressé le jus du malheur. Pour ne pas crever des douleurs du deuil ou de l’agonie, j’ai dû approfondir mon aptitude à l’enchantement, accroître ma fermeté face à l’adversité. À Normale Sup déjà, l’étude de la philosophie offrit une colonne vertébrale à mon intensité émotionnelle, proposa des voies de sagesse à mon tempérament trop nerveux, un exutoire à mes violences internes. La fréquentation de Diderot, prince de la légèreté et de l’audace, nourrit ma quête d’équilibre. Mais il manquait une dimension spirituelle à cette joie raisonnée: l’absolu d’une rencontre. Car la joie suppose un autre, elle est toujours reçue. En 1989, la foi m’est révélée dans le désert. Je m’égare parmi les roches. Prisonnier des sables, transi de froid, je suis soulevé, envahi par une force qui me pénètre et m’irradie. Une présence m’incendie. Je comprends que tout a un sens. La grâce de cette nuit ne me quitte plus, je dois me montrer digne du cadeau, agir à partir de mon âme qui a vu la lumière. J’ai décidé de devenir le scribe de la joie. Malheureusement, notre époque ne valorise pas ma démarche. Contrairement à l’accablement qui a pignon sur rue, on ne prend pas la joie au sérieux.
NT: Les animaux participent-ils à votre joie de vivre?
E.-E. S.: Ce matin, j’ai commencé ma journée à quatre pattes avec mes trois chiens qui me volaient mes chaussettes, m’entraînaient dans une course-poursuite, se roulaient sur le dos, ventre offert aux câlins, me rendant aussi espiègle qu’eux. Quelle leçon de bonheur je reçois à chaque réveil! Pierre angulaire de mon équilibre, mes chiens m’obligent au jeu, au rire, aux cajoleries.
NT: Vous avez rejoint la Ligue des optimistes pour devenir ambassadeur de cette joie?
E.-E. S.: Je soutiens ce mouvement créé en Belgique en 2005. À l’époque, son fondateur avait imprimé ce slogan sur des parapluies: "C’est un beau jour de pluie." Tout était dit! L’optimiste préfère danser sous la pluie que s’en plaindre.
Catherine Lalanne et Florence Monteil
RCF - « Plus tard, je serai un enfant »
Eric-Emmanuel Schmitt est aujourd’hui un des auteurs français contemporains les plus lus dans le monde. Dans une série d’entretiens qu’il vient de publier sous le titre Plus tard, je serai un enfant, il montre comment le cœur de son œuvre est au service de la grâce reçue lors de la Nuit de feu (1) qu’il vécut dans le désert du Hoggar où il s’était égaré : « Une présence m’incendie. Je comprends que tout a un sens. La grâce de cette nuit ne me quitte plus. (…) J’ai décidé de devenir le scribe de cette joie. (…) Platon assurait que la qualité originelle du philosophe consiste à s’étonner. Si je colore son postulat d’affectivité, cela donne ma position d’écrivain : l’émerveillement. Mes personnages vivent chaque jour comme si c’était le premier. Ils disent bonjour au monde, pas adieu » (2).
Elevé à Lyon par des parents qui pratiquent le théâtre et la musique, il intègre l’Ecole Normale Supérieure et obtient une très brillante place au concours de l’agrégation de philosophie. Il découvre la foi chrétienne à 28 ans. « Aujourd’hui, le croyant que je suis devenu ne se juge pas très différent du garçon incroyant et néanmoins confiant que j’étais. La foi ne m’apprend rien – elle ne dispense pas de savoir supplémentaire au sens ou la science en fournit – elle rénove le rapport à l’inconnu. Je fais crédit à ce qui m’échappe. Croire m’a rendu l’émerveillement et la déférence des premiers temps face au mystère » (3).
Au moment où les réseaux médiatiques d’information en continu nous entretiennent de la permanence de la menace terroriste, Eric Emmanuel Schmitt nous dit « c’est l’occasion de redonner à notre existence normale une saveur de première fois : sortir, circuler, voyager, étudier, festoyer, rejoindre des amis, embrasser nos familles » (4).
Cette attitude le met en porte-à-faux avec une époque où le désenchantement a pignon sur rue et qui « assimile l’optimiste à l’idiot du village ». Ainsi , écrit-il, « L’enfant faillit mourir plusieurs fois en moi : l’enfant créatif fut enseveli sous des enseignements ; l’enfant philosophe, qui s’étonne, qui s’interroge, qui réfléchit, se persuada à vingt ans de détenir la science et se dispensa de chercher encore ; l’enfant joueur risque d’être broyé par l’esprit de sérieux » (5). C’est à l’art de vivre de commencements en commencements qu’il nous invite : « Je refuse la fatigue de vivre. Je proscris le sentiment de déjà-vu ou de déjà-entendu. Je casse toute habitude. J’entends cultiver la fraîcheur, la saveur de la première fois, la naïveté éternelle. L’art m’y aide. Quand j’admire un tableau ou que j’écoute une musique, je deviens vierge, neuf, j’assiste à une épiphanie. L’aube scintille » (6).
Pour lui, « dans ce monde, ce ne sont pas les occasions de s’émerveiller qui manquent, mais les émerveillés » (7).
(1) Eric-Emmanuel SCHMITT : La nuit de feu, éditions Albin-Michel 2015.
(2) Eric-Emmanuel SCHMITT : Plus tard, je serai un enfant. Entretiens avec Catherine Lalanne, éditions Bayard, 2017, page 96. A la question : quel est le plus beau cadeau de cette nuit, il répond : « Un talent demeure vain s’il ne s’enrôle qu’au service de lui-même. Je dois vivre et écrire à partir de mon âme qui a vu. A l’heure actuelle, alors qu’on tue en se réclamant de Dieu, j’agis pour respecter en l’autre le même que moi. Les amis de Dieu restent ceux qui le cherchent, pas les usurpateurs qui jacassent en son nom en prétendant l’avoir trouvé (…) Dieu ne se prouve pas par la raison et aucune religion n’est vraie ou fausse. Tolérer la croyance d’autrui découle de l’acceptation de notre ignorance commune (…) Pour ma part, j’ai conscience que je ne sais rien mais j’habite l’inconnaissance sous la lumière de Dieu et de la révélation chrétienne » pages 118-119.
(3) Id. pages 105-106.
(4) Id. page 103.
(5) Id. page 12
(6) Id. page 137
(7) Id. page 120
Bernard Ginisty
Le Bel âge (Canada) - « Éric-Emmanuel Schmitt, un passeur de vies »
Éric-Emmanuel Schmitt a passé une mauvaise nuit. Assailli par une vilaine grippe, il espère être remis afin d’incarner le lendemain soir Momo, Ibrahim et les autres personnages dans le spectacle solo tiré de son célèbre roman Ibrahim et les fleurs du Coran. «Ça me rendrait plus malade encore de devoir annuler que d’être sur scène», souffle-t-il au téléphone entre deux quintes de toux. Sa ferveur n’a rien d’étonnant quand on connaît sa volonté de communier avec le public pour mieux réenchanter la vie. «Nous vivons dans des sociétés marquées par la tristesse. Or, la tristesse, c’est le rapport au manque. Et si on la cultive, on a de quoi la nourrir puisqu’il nous manque toujours quelque chose: des êtres qu’on a perdus, du temps, de l’argent… Tandis que la joie, c’est le rapport au plein. C’est la faculté de se réjouir d’être en relation avec autrui, de pouvoir faire et d’avoir fait. Chaque vie est remplie de joie ou de tristesse, et se transforme, selon la façon dont on l’éclaire», ajoute celui qui aborde de grandes questions existentielles, telles la foi et la quête du bonheur, d’une façon savoureuse et accessible. Et qui explique largement son succès planétaire.
À preuve, ses quelque vingt pièces, dont Variations énigmatiques, Le Visiteur et Le Journal d’Anne Frank, sont régulièrement représentées dans 50 pays, tandis que ses best-sellers, qu’il s’agisse d’Oscar et la dame rose, de La Part de l’autre, d’Odette Toutlemonde et autres histoires ou, plus récemment de La Nuit de feu et de L’Homme qui voyait à travers les visages, sont traduits en 44 langues. Résultat: cet agrégé et docteur en philosophie, né en 1960 près de Lyon, en France, est devenu en moins de 20 ans l’un des auteurs francophones les plus lus et le plus représentés sur scène dans le monde. «Ce succès immédiat m’a donné des ailes. Le fait d’être désiré, ça vous donne une énergie fabuleuse! Je me dis parfois que mon œuvre serait moins riche et moins vaste si je n’étais pas entré dans une telle relation avec le public… Mais, au fond, je n’en sais rien», soupèse l’académicien, qui s’adonne également à l’écriture de bandes dessinées, à l’adaptation de livrets d’opéras, à la réalisation au cinéma, au jeu et à la direction artistique de son propre théâtre.
Ouvrir les yeux
Comment explique-t-il une telle boulimie créative? «En écrivant, j’ai l’impression de donner la vie. Elle arrive parfois sur la page ou sur scène. Écrire, c’est tout d’abord aborder le monde avec une immense attention. Je suis celui qui prête attention, à ses personnages et à leur histoire imaginaire. En somme, je suis un passeur de vies!» résume l’artiste à la carrure de sportif depuis sa ferme-château en Belgique, où il vit. «Ce monument historique datant de 1601, au sud de Bruxelles, est l’endroit où je me sens le mieux au monde… Au moment où je vous parle, je suis entouré de mes trois chiens: Fouki, la mère, et ses deux petits, Lulu et Daphnée. J’adore les bêtes, et j’y suis très attaché. Elles tiennent une place presque aussi importante que les humains dans ma vie.» Ce détail intime est le seul qu’il laissera échapper pendant l’entretien, car Éric-Emmanuel Schmitt se révèle extrêmement pudique. «Comme chacun, j’ai mes humeurs, mais je n’ai aucun désir de les étaler... Ma pudeur me permet de préserver mon équilibre, qui me rend fécond comme romancier et dramaturge», souligne-t-il avec un sourire dans la voix. Et laissant entendre du même coup que c’est à travers les répliques de ses personnages qu’on peut le mieux découvrir sa vibrante humanité. Ceux et celles qui ont eu l’occasion de le voir sur scène au TNM, à Montréal – ou ailleurs au Québec – dans Ibrahim et les fleurs du Coran, son ode mythique à la tolérance et à l’amitié, en savent quelque chose. Le créateur confie garder un merveilleux souvenir de son passage sur scène: «C’étaient des noces avec le public montréalais, vraiment! Les rires fusaient, et l’émotion aussi. Ç’a été un des grands moments de ma vie!» s’enthousiasme l’artiste, dont la source créative semble intarissable.
Pourtant, il sera le premier à avouer qu’il ne connaît pas de recette toute faite pour stimuler la créativité en soi. «Je n’en ai pas la clé pour la simple raison que nous ne sommes pas tous doués de la même façon, côté créatif. Par contre, ouvrir les yeux et les bras, ça dépend de nous! C’est ce que nous faisons spontanément dans l’enfance, car le cerveau d’un jeune enfant est avide de connaissances et de sensations nouvelles. En revanche, c’est ce que nous arrêtons de faire à l’âge adulte, car nous avons l’illusion de savoir, d’être mûr, de posséder des vérités. Or, cela peut inhiber notre action, notre engagement dans la société, voire notre élan vers les autres. Bref, cela peut nous scléroser totalement! Et dès qu’on en souffre, c’est une maladie qui mérite d’être soignée!»
Comme des enfants
C’est dans cet esprit qu’il s’est adonné à son dernier ouvrage, Plus tard, je serai un enfant, dans lequel il s’entretient librement avec la journaliste Catherine Lalanne. Au fil des échanges, Éric-Emmanuel Schmitt revient au jardin de l’enfance et aux sources de son inspiration artistique avec un optimisme inspirant. Dès les premières lignes de l’avant-propos, il écrit: «Je n’ai pas eu la même enfance toute ma vie», avant de dire plus loin: «Nous possédons plusieurs enfances au cours d’une vie, lesquelles diffèrent selon l’âge auquel nous la racontons.» En effet, du point de vue de l’artiste, «on voit toujours le passé à travers la fenêtre du présent. Par exemple, dans une période troublée, on y recherchera l’origine des conflits. Tandis que dans une période plus sereine, on y décèlera les racines de sa paix.» Et lui, quel regard pose-t-il sur son enfance, aujourd’hui? «Je dirais le même que celui dont je parle dans le livre. Je suis apaisé, loyal. Et reconnaissant envers ce que m’ont donné les êtres qui m’entouraient.»
En disant cela, il pense tout naturellement à son grand-père François, un artisan joaillier sertisseur à la sagesse espiègle, dont le souvenir encore très vif marque son œuvre. «Je l’honore en brisant le cliché sur les personnes âgées. Grâce à mon grand-père, le fait d’avancer en âge m’a toujours paru un garant de liberté. C’est le moment où on brave les interdits, on largue les amarres et où on se moque des qu’en dira-t-on!» À vrai dire, il s’indigne du regard réducteur que l’on pose généralement sur l’âge. «Vieillir ce n’est pas racornir, c’est grandir!» scande-t-il avec une vigueur qui tranche avec le ton général de la conversation. «À 20 ans, j’étais blasé. À 50 ans, je suis beaucoup plus étonné par la grande diversité des gens. Jeune adulte, je ne voyais que les points communs entre les gens. Ils me semblaient archétypaux. Plus je découvre la complexité des êtres – qu’il n’y a pas une seule façon d’aimer, de désirer ou de vivre –, plus je m’émerveille! Aujourd’hui, je suis plus à la recherche du singulier que de l’invariant», avoue le philosophe, qui fait également de ce livre un manifeste contre le cynisme et la fatigue de vivre, souvent trop répandus dans notre monde. «Dans tout ce que j’écris, il y a cette volonté de partager la joie, la confiance et l’optimisme avec les lecteurs. Même si ma joie naturelle a souvent été malmenée, que ce soit par les deuils, les maladies ou les injustices, elle s’est affermie avec le temps. Elle est devenue volontaire. Je la nourris et je la cultive.» Pour l’éternel philosophe en lui, la joie comme l’optimisme ne nous font pas nier les difficultés de la vie, mais ils nous donnent la force pour les surmonter et en faire quelque chose d’utile et de lumineux, pour soi et pour les autres.
La fin de l’entretien approche, et il est impossible de quitter Éric-Emmanuel Schmitt sans lui demander d’élaborer sur une phrase qui conclut le deuxième chapitre de son livre: «L’amour se mérite.» Une phrase toute simple en apparence mais lourde de sens, surtout à l’heure où le sens de l’effort n’a pas la cote. «J’ai toujours trouvé qu’il faut être aimable pour être aimé! Cela exclut l’amour que doit un parent à son enfant, que ce dernier l’incite ou non, mais la disposition à offrir à l’autre le meilleur de soi est une très bonne attitude. Je dirais même qu’il est souhaitable d’offrir à la vie le meilleur de soi. Quand on ne travaille pas sur soi, quand on cultive la mauvaise humeur et qu’on la fait subir à son entourage, quand on cache les trésors de bonté en soi, de quel droit demande-t-on quelque chose à la vie et aux autres? Soyons cohérents!»
L’artiste poursuit en évoquant l’avenir, même si l’heure des bilans lui semble un peu prématurée. «Je ne sais pas ce qui m’attend. Peut-être vivrai-je encore plus ma part d’enfance dans les années qui viennent?» interroge-t-il dans un éclat de rire. Chose certaine, ce penseur espère retrouver un jour la nature contemplative qui, à son sens, est le propre de l’enfance. «J’aimerais bien revivre le charme de ces heures-là! Sans doute, y arriverai-je une fois que j’aurai le sentiment que ma tâche est accomplie...»
Pour la petite histoire, Éric-Emmanuel Schmitt a triomphé de sa grippe et a pu remonter sur scène pour son plus grand bonheur et celui de ses admirateurs!
Manon Chevalier
Critiques des blogs
Voix de plumes - « Entretiens menés avec tact et talent »
Excellente idée que cette collection L’Atelier de l‘enfance publiée par Bayard Editions. De quoi s’agit-il ? Tenter de découvrir dans quel jardin pousse l’herbe d’un artiste. Eric-Emmanuel Schmitt répond aux questions de Catherine Lalanne, rédactrice en chef à l’hebdomadaire Pèlerin et directrice de la collection.
Le romancier et dramaturge nous apprend dans la préface, qu’il na pas eu la même enfance toute sa vie et que ce volume nous donne à découvrir l’enfance de ses 50 ans. Et de conclure cette mise en bouche en nous révélant qu’aujourd’hui, il est devenu son propre enfant.
Premier constat, Eric-Emmanuel Schmitt et Catherine Lalanne se connaissent bien et se font confiance. Au point que l’écrivain a confié à la directrice de collection quelques photos tirées directement de l’album de famille. Elles figurent en fin d’ouvrage. Le lecteur commence son voyage au pays de l’enfance d’Eric-Emmanuel Schmitt sur un balcon. Celui de l’appartement que ses parents habitent à Lyon et qui permet au bambin de prendre de la hauteur en embrassant le monde du regard. Il découvre aussi, ce lecteur, l’importance d’un grand-père capable de saupoudrer la vie de paillettes d’or.
Très vite, le jeune Eric-Emmanuel est un lecteur insatiable. Il apprend quasiment à lire avec Tintin, attend impatiemment la publication de chaque volume des aventures d’Astérix. Suivront les classiques durant l’enfance, les philosophes à l’aube de l’adolescence.
Pourtant, la vocation profonde du jeune Eric-Emmanuel (et elle l’est toujours) n’est pas la littérature, mais la musique. Et l’auteur de confier que «Si Méphistophélès, le ministre de Satan, apparaissait et me proposait d’effacer tout ce que j’ai déjà écrit pour devenir l’auteur d’un air de Mozart ou d’un prélude de Chopin, je lui dirais «oui» aussitôt». On découvre aussi, grâce aux questions subtiles de Catherine Lalanne, comment est née la vocation de dramaturge de l’auteur et pourquoi il a acheté le théâtre Rive Gauche à Paris. Au fil des pages, on constate qu’Eric-Emmanuel Schmitt est un hymne à la joie. Non pas qu’il soit naïf et ne comprenne rien à l’état du monde (lisez Ulyssse fron Bagdad), il voit simplement le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.
Ces entretiens ont, semble-t-il, été menés sur la fin ou juste avant la publication de La Nuit de feu, roman dans lequel Eric-Emmanuel Schmitt révèle sa rencontre avec la foi. Catherine Lalanne revient subtilement sur cette révélation, mais aussi sur le chemin qui y a mené. Très sensible et très fin également, l’entretien avec Jeannine, la maman d’Eric-Emmanuel.
Avec ces entretiens, ceux qui ne connaissent de l’auteur que ces romans ou ses pièces de théâtre découvriront l’homme et la matière dont il est fait. Ceux qui connaissent un peu la vie d’Eric-Emmanuel Schmitt découvriront des aspects inattendus de son parcours, de ses motivations et de sa création. Il est dit beaucoup dans ces presque cent quatre-vingt pages, mais avec pudeur. C’est le résultat d’entretiens menés avec tact et talent par une interlocutrice qui a su, c’est rare, se faire discrète.
Pascal Schouwey
Critiques Libres - « Garder l'esprit d'enfant pour mieux créer »
Dans cet entretien avec une journaliste et amie, Mme Catherine Lalanne, Eric-Emmanuel Schmitt, prolifique écrivain à succès, livre une description de son enfance et de sa jeunesse. Cet exercice n'a rien de superficiel ou vain, car il détient un objectif, que le titre de l'ouvrage laisse transparaître. L'esprit de l'enfance permet de stimuler la créativité et d'écrire plus facilement.
Il s'en est lui-même rendu compte trop tardivement, au moins à son goût, car ses études brillantes, en grande école, de philosophie et son début de carrière d'enseignant l'ont accaparé, au point de lui forger une existence un tantinet trop austère à son goût, et le besoin d'écrire l'a conduit à un retour en arrière. Il s'en est ensuivi la profusion de sa création littéraire, et il fait entendre que ce serait la clé de son succès. Le thème de l'enfance est aussi traité assez régulièrement dans son oeuvre. Il entretient ses patients d'enfant, comme la musique, le goût de l'observation et de la découverte, comme du travail de sertisseur de son grand-père.
La lectrice et le lecteur pourraient craindre une étude contemplative de soi-même, mais il se dégage de cet ouvrage un sentiment de fraîcheur et justement une recherche d'humilité, là où ses statuts de normalien, d'agrégé de philosophie et d'écrivain à succès pourraient l'inciter à l'excès d'orgueil. En guise d'une sorte d'excuse, il expose ce qu'il est et ce qui le porte, et le résultat est plutôt rassurant.
Dans ma Liseuse Hyperfertile - « N’hésitez pas à vous l’offrir »
Grâce à l’opération masse critique, j’ai eu le privilège de recevoir avant sa sortie en librairie ce livre. J’ai ouvert l’enveloppe comme une enfant devant un cadeau de noël tant j’aime cet auteur, son écriture et ce qu’il dégage à travers ses interviews dans la presse ou à la télé…
Je me suis donc empressée de lire cet ouvrage, qui n’est pas un roman mais une transcription d’entretien avec Catherine Lalanne, sur le thème de l’enfance. On découvre alors l’enfant qu’était Eric Emmanuel Schmitt, la vision qu’il a de l’enfant qu’il était, les liens qui l’unissaient à sa famille, etc etc…
Il évoque ses premières découvertes littéraires très jeune, il nous parle du jeune homme mal dans sa peau qu’il était, de sa rencontre avec la musique, et surtout Mozart qui tient une place importante, puis nous emmène vers le théâtre en évoquant à quel point il a été touché par Cyrano de Bergerac par exemple.
A travers cet entretien, on déambule avec lui sur les toits de Lyon, on s’émerveille comme lui sur des peintures, du cinéma, de l’art en général, de la vie tout simplement.
J’imagine que ce genre d’exercice n’est pas facile. Se livrer sur son enfance, sur sa famille. Se dévoiler et donner aux lecteurs une part de son intimité. Il l’a fait en toute simplicité je trouve, tout en étant passionnant et touchant (lorsqu’il évoque l’absence d’enfant par exemple).
J’ai aimé lire cet entretien.. J’entendais la voix d’Eric Emmanuel Schmitt pendant ma lecture. Et je n’ai qu’une envie maintenant, me plonger dans ses pièces de théâtres, puisque je m’étais cantonnée à la lecture de ses romans.. Et je me laisserai sûrement tenter par l’entretien que Catherine Lalanne pourrait faire d’un autre artiste… Ce livre est disponible dès aujourd’hui dans vos librairies, n’hésitez pas à vous l’offrir si vous aimez Eric Emmanuel Schmitt.
Ma notation :
A lire si vous avez vous aussi envie de retrouver l’enfant que vous étiez.
Lunatic
Les carnets du parvis (Canada) - « De nouveaux aperçus sur la vie et la pensée de l’écrivain. »
Que l’on aime un peu, beaucoup ou à la folie l’œuvre d’Éric-Emmanuel Schmitt – ou alors pas du tout –, difficile de ne pas apprécier l’homme, éminemment sympathique, à mille lieues de la caricature de l’intellectuel parisien insupportable (d’ailleurs, il habite Bruxelles). C’est d’autant plus vrai pour les Québécois, qui bénéficient de fréquentes visites de cet auteur, parmi les plus traduits dans le monde.
Il est donc assez aisé de prévoir le succès de son dernier livre, Plus tard, je serai un enfant, paru la semaine dernière et lancé hier soir à la Librairie Paulines. Non pas un court roman ou une pièce de théâtre, cette fois, mais un livre d’entretiens – ce qui peut étonner lorsque l’on sait qu’Éric-Emmanuel Schmitt a longtemps refusé de se livrer sous ce mode, ayant toujours privilégié de se confier par l’intermédiaire de fictions à teneur autobiographique.
Et alors, dans ce livre tout neuf, y apprend-on beaucoup de choses sur lui ? Oui et non. Ceux et celles qui ont fréquenté assidûment son œuvre ne seront pas surpris par la place qu’a prise la beauté en général, la musique et la littérature en particulier, dans l’éducation humaine et intellectuelle de l’auteur de Ma vie avec Mozart. Mais tout de même, l’accent sur l’enfance permet de faire émerger de nouveaux aperçus sur la vie et la pensée de l’écrivain.
Ainsi, on découvre qu’Éric-Emmanuel valorise énormément l’écoute, dans notre vie adulte, de l’enfant que nous fûmes – par-delà toute candeur de type « Peter Pan », évidemment. En fait, il se dégage de ses propos une spiritualité faite à la fois d’enracinement, de goût de l’aventure et d’étonnement. Cela parlera sans doute à bien des gens, bien au-delà des cercles religieux. En contexte chrétien, beaucoup penseront au courant spirituel « de l’enfance » issu de Thérèse de Lisieux, non sans raison. Mais nul besoin d’avoir un rapport religieux au monde et à la transcendance pour apprécier le type de sagesse proposé par Éric-Emmanuel Schmitt, heureux mélange de fidélité au passé et d’ouverture créative à l’avenir.
Sans doute quelques lecteurs seront-ils parfois agacés par certaines questions, qui semblent manquer de naturel. Par exemple, on demande à Éric-Emmanuel Schmitt, d’entrée de jeu, si « grandir sur un promontoire participe à forger un regard distancié sur l’existence ? » Ce n’est exactement le type d’interrogation venant à l’esprit de la majorité d’entre nous…
Mais il ne faudrait pas passer à côté de cet ouvrage pour si peu. La préface, écrite par l’auteur, est particulièrement envoûtante. Je termine en citant un extrait de celle-ci :
Je n’ai pas eu la même enfance toute ma vie.
À vingt ans, elle me semblait vide tant je désirais la quitter. À trente ans, je l’avais bornée à une série d’impressions, une collection de premières fois, un alphabet de sensations. À quarante ans, j’en fournissais un récit tourmenté, avec un début, un milieu et mille ruptures, car je me débattais alors dans des tensions familiales. Aujourd’hui, la cinquantaine advenue, plus tendre, plus sage, moins fier, apaisé, je mesure ce que j’en retire et j’aime y détecter les racines de ma vie.
JONATHAN GUILBAULT
Publications
- En langue française, chez Bayard.